Cette histoire est la longue suite des relations aveugles que les hommes entretiennent avec le monde, et en particulier avec la matière dont ils sont faits, qui les a longuement façonnés sans jamais leur donner l’occasion de donner leur avis sur la question.
Les historiens n’ont pas jugé utile de retenir ici l’hypothèse d’une intervention extérieure
(c’est-à-dire « méta-physique », au sens précis du terme) préférant s’en tenir à l’idée que la nature n’avait besoin de personne pour savoir ce qu’elle avait à faire.
L’histoire se déroule en trois périodes.
PREMIERE PERIODE
Tout commence il y a des milliards d’années. La terre n’est alors qu’un tas de poussière, un amas de matières premières sans valeur ajoutée. Un jour les continents se brisent et se séparent, les « choses » prennent forme, se mettent à bouger, à se fabriquer toutes seules, au hasard de rencontres entre des éléments qui n’avaient aucune raison de s’accoler et qui le font pourtant sans projet préalable.
Plus tard, la vie commence à remuer, tout doucement, comme un dormeur sous ses couvertures. Plus tard encore, beaucoup plus tard, apparaissent des animaux de toutes sortes, des oiseaux, des poissons, de quoi remplir au moins cinquante catalogues. Les hommes, peu à peu se détachent du lot, sans même s’en apercevoir. Tout ce travail s’opère sans le moindre apport de main d’œuvre. Le temps fait son œuvre tranquillement sans rien demander à personne. Car, il s’agit bien d’un travail, au sens mécanique du terme, le travail étant, par définition, le résultat de l’action d’un effort appliqué pendant un certain temps sur un objet, soit pour le déformer soit pour le déplacer, ayant dans tous les cas pour effet de le conduire à changer d’état. Au vu du caractère accidentel, mystérieux, en apparence irrationnel de ces phénomènes que nous n’avons pas les moyens de mesurer il est évidemment tentant d’imaginer l’intervention d’un agent invisible, qui nous permettrait d’expliquer même l’inexplicable. Nous serions alors dispensés d’aller chercher plus loin.
Au lieu de cette solution de facilité, nous préférons, pour le moment, nous en tenir à cette idée que la matière est un chat qui ne dort que d’un œil. Contrairement à ce que nous supposons d’habitude, qu’elle n’est pas inerte mais bien vivante. Sous ses dehors tranquilles, qu’elle est chargée jusqu’à la gueule du pouvoir de se transformer elle-même, voire de se détruire. Au point de se payer le luxe d’avoir des ouvriers pour le faire à sa place sans savoir ce qu’ils font.
DEUXIEME PERIODE
Le temps passe. Nous en sommes alors à trois millions d’années avant l’invention de notre calendrier. Les hommes jusque là se sont toujours laissé manipuler, se comportant comme des « objets » soumis aux caprices de la nature. A partir de ce moment là, ils entreprennent d’exister par leurs propres moyens sans avoir à compter sur personne d’autre qu’eux-mêmes. Afin de vivre mieux ils se mettent à « travailler » pour leur propre compte, à tailler du silex, à fabriquer toutes sortes d’outils. On en a retrouvé des centaines. Ils imaginent aussi de fabriquer des mots qui leur permettent de communiquer plus facilement. On ne sait pas très bien quand ils ont vraiment commencé à s’exprimer. Il n’existe pas de fossiles des premières paroles, aucune trace d’aucun discours.
Toujours est-il qu’au bout d’un certain temps, ils en viennent à croire qu’ils ont désormais les moyens de ne plus « se laisser faire », et qu’ils peuvent enfin maîtriser le monde. Alors que tout au long de la précédente période ils étaient des « objets », ils ont maintenant les moyens, ou plus exactement ils imaginent avoir le pouvoir de donner consistance à leurs rêves, de prendre leurs désirs pour des réalités ; ils se jugent capables de transformer le monde.
Ils perfectionnent leurs outils, inventent des leviers leur permettant de soulever des charges au dessus de leurs forces, et même des machines qui peuvent travailler pour eux.
En particulier dans l’agriculture. Un ouvrier à lui tout seul, au volant de sa moissonneuse-batteuse , fait le travail de vingt-cinq moissonneurs. Du jour au lendemain, l’agriculture a de moins en moins besoin de bras ; alors que l’industrie de son côté consomme de plus en plus de main d’œuvre.
De sorte que les paysans vont se faire engager comme ouvriers dans des usines. Faute de « savoir faire » on leur demande simplement d’être au service des machines. Alors que les outils, rangés au magasin des accessoires deviennent peu à peu des pièces de musée.
Puis on en vient à construire des usines sans travailleurs équipées de machines intelligentes, dressées à fabriquer n’importe quoi. Privés de leurs outils, les ouvriers se trouvent exclus du marché du travail. N’ayant plus aucun moyen d’existence ils sont, à leur tour, devenus des « objets » inutiles, bons à jeter à la décharge.
Dans le secteur des services la situation n’est pas beaucoup plus brillante. La aussi des machines, de plus en plus « savantes », prennent le pouvoir. Les ordinateurs de la Bourse sont capables d’effectuer en un clin d’œil des transactions financières portant sur des milliards de dollars sans qu’il soit possible de suivre le détail des opérations en raison de la dissémination des comptes. Sur tous les écrans de contrôle les chiffres se volatilisent et disparaissent avant qu’on ait eu le temps de les lire. Et l’argent s’évapore comme par miracle. Les banquiers, incapables de maîtriser le mouvement des capitaux en arrivent à mettre la clé sous la porte.
TROISIEME PERIODE
Par manque d’instruments de surveillance le système s’est emballé. Alors qu’ils avaient cru pouvoir domestiquer la matière, les hommes se trouvent maintenant dépassés par les transformations qu’ils ont déclenchées : changement climatique, marées noires, pollution de l’air, pluies acides, contamination des nappes d’eau, appauvrissement des ressources, dégradation des sociétés, famines, etc…
Les « forces de travail » sont retournées comme aux premiers temps dans le champ de la démesure et de l’incontrôlable. Les « éléments naturels », mis devant le fait accompli, doivent tant bien que mal compenser le désordre occasionné par les hommes et régler la situation en établissant un nouvel équilibre de forces dont les hommes à leur tour devront désormais tenir compte.
Les générations à venir ont du pain sur la planche…
mardi 20 janvier 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire