« Du passé faisons table rase… nous ne sommes rien, soyons tout »
(L’internationale)
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Albert CAMUS ( Discours de Suède )
PROPOSITIONS POUR UNE EXPERIENCE DE CHANTIER/THEATRE
Une troupe de comédiens se prépare à représenter une pièce de Marivaux, « l’île des esclaves ». Après avoir fait naufrage, un valet de comédie, Arlequin, et son maître échouent sur une île peuplée d’anciens esclaves qui ont pour habitude de « corriger de leurs défauts» tous les patrons venant à leur tomber sous la main. A cet effet les domestiques prennent la place de leurs maîtres ; les maîtres étant, de leur côté, réduits en esclavage.
A la fin de la pièce, une fois les patrons devenus « raisonnables », chacun reprend sa place comme avant.
La pièce a été représentée pour la première fois en 1725, soit un peu plus de soixante ans avant la Révolution française. Dans ses Causeries du Lundi, en 1854, Sainte-Beuve observe que « cette petite pièce est presque à l’avance une bergerie révolutionnaire de 1792 ».
Inscrite au répertoire de la Comédie Française en 1939, la pièce est reprise en 1964 par le Théâtre de l’Est parisien dans une mise en scène futuriste où les personnages prennent la forme de martiens ou de cosmonautes. De son côté en 1995, au théâtre de l’Odéon, Giorgio Strehler l’adapte à la manière des tréteaux de la foire et de la commedia dell’arte.
En raison de leurs dimensions les îles se prêtent assez bien à ce genre d’expériences politiques à petite échelle, comme en laboratoire. Marivaux use encore de ce procédé à deux reprises dans « L’île de la Raison » et dans « la Colonie » où il est question de la libération des femmes.
Le travail sur modèles réduits permet de simplifier les données des problèmes et d’avoir ainsi les moyens de les résoudre à peu de frais. Quant à en reprendre les conclusions pour les transposer à plus grande échelle, c’est une autre affaire.
Ici, les comédiens en viennent peu à peu à sortir du texte pour transposer la situation dans une sorte de République ayant pour devise : « Un Président fort pour un peuple fort ».
Et le fait est que chaque jour, sur tous les écrans de télévision, le Président occupe la scène plus souvent qu’à son tour ; il prétend notamment être le seul à pouvoir régler tous les problèmes avec une arrogance imbécile qui ne fait rien d’autre que révéler son insignifiance.
Pourquoi faut-il que les peuples aient toujours besoin d’être dirigés par des Rois, des Empereurs ou des Présidents ?
Il est écrit dans sa Constitution que cette République a pour principe : « Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Sans préciser quel sens on doit donner à l’expression « pour le peuple ». Il faut évidemment comprendre « au profit du peuple ».
Mais qu’advient-il si l’action du gouvernement se trouve, par malheur, dirigée « contre » le peuple ? ou simplement s’exerce « à la place » du peuple, sans lui demander son avis ?
Par la force des choses, en venant au monde, chaque génération se trouve placée devant le fait accompli, doit non seulement accepter « l’état des lieux » tel qu’il se présente mais de plus, absorber les dettes contractées par ses prédécesseurs.
Or ce qui était vrai pour une société, à un moment de son histoire, ne l’est peut-être plus tout à fait cinquante ans après. Pour la simple raison que le peuple n’est plus le même, que les conditions de vie ont changé. Le « tiers-état » n’est plus ce qu’il était, ou plutôt ce qu’il n’était pas, au XVIIIème siècle quand il fut question de fonder une République pour tenter de donner un semblant de raison d’être aux individus qui le composaient. En particulier, au jour d’aujourd’hui, que faut-il faire des « étrangers » qui viennent occuper l’espace de nos villes et de nos banlieues ? Le fait de naître ici ou là et d’avoir ou non des papiers est-il déterminant pour trier les gens et décider de ceux qui ont le droit de vivre parce qu’ils sont « en règle » avec l’administration, alors que, faute de fournir la preuve qu’ils existent, « les autres » ne seraient que des « objets » encombrants dont il conviendrait de se débarrasser ?
La pièce se présente comme un « chantier théâtre », c'est-à-dire une construction inachevée, encore à l’état de « gros-œuvre » où il est demandé aux spectateurs de devenir eux-mêmes acteurs afin de mettre la main à la pâte pour finir les travaux. A cet effet, les comédiens jettent le livre dont ils se sont servis et invitent le public à poursuivre :
« le plus important ce n’est pas tant ce qui est écrit que ce qu’il reste à écrire »
dimanche 25 janvier 2009
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