mardi 6 avril 2010

NOUS SOMMES TOUS DES ETRANGERS

Prolégomènes à la candidature d’un « sans-papiers » à la Présidence de la République

Le 2 novembre 2009, le Ministre de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale,Eric BESSON invitait les préfets de départements à organiser des débats locaux sur "« l’identité nationale ».

Les participants étaient tenus de répondre à la question suivante : « Pour vous qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? »
Au cours d’une visite dans les Balkans, au mois de décembre 2009, Eric BESSON exposait les principes de sa « philosophie » :
« Il doit y avoir une hiérarchie des appartenances. Chacun a son histoire personnelle, son lieu de naissance, sa religion éventuelle. Il ne s’agit pas de renoncer à cette histoire, mais d’accepter, lorsqu’on est français qu’elle devienne seconde par rapport à une autre, c'est-à-dire l’appartenance à la nation. »
En suivant ce genre de « raisonnement » on en viendrait bientôt à remplacer la « carte nationale d’identité » par une « carte d’identité nationale » Comme s’il suffisait de changer l’ordre des mots pour modifier l’ordre du monde.
Il serait évidemment plus facile de gouverner si chaque individu renonçait d’être ce qu’il est, pour s’aligner avec « les autres » sous un même uniforme, dans une sorte de service « national », tel qu’il se pratiquait autrefois dans les casernes. Et tellement plus reposant, pour les intéressés eux-mêmes, d’être assurés que l’uniforme va penser à leur place.
En Allemagne, en 1933, un autre « philosophe » (mais un vrai, celui-là), Martin Heidegger affirmait que « l’individu, où qu’il se dresse ne vaut rien ». Il ne voyait, lui aussi, de salut pour la société que par l’abandon des identités personnelles au bénéfice d’une « identité nationale » permettant au peuple de s’affirmer dans une mission historique fondée sur l’unité du sang et de la race.
Le pouvoir en place s’employait alors à renforcer la cohésion nationale par la mise à l’écart et l’exclusion d’une certaine frange de la population jugée indésirable, voire même considérée, en raison de sa « race », comme un déchet d’humanité.
Le 7 avril 1942, Heinrich Himmler, devant l’Etat Major SS, jetait les bases de « la solution finale » qui devait conduire à l’extermination de 6 millions de personnes:

« Tout ce que nous faisons doit être justifié par rapport à nos ancêtres. Si nous ne retrouvons pas cette attache morale, la plus profonde et la meilleure parce que la plus naturelle, nous ne serons pas capables à ce niveau de vaincre le christianisme et de constituer ce Reich germanique qui sera une bénédiction pour la terre entière. Depuis des millénaires, c'est le devoir de la race blonde que de dominer la terre et de toujours lui apporter bonheur et civilisation…. Il m’est totalement indifférent de savoir si les autres nations vivent prospères, ou crèvent de faim. Leurs peuples m’intéressent dans la seule mesure où ils peuvent nous être nécessaires comme esclaves de notre culture. Le sang de bonne qualité, de même nature que le nôtre, que tous ces peuples peuvent nous offrir, nous le prendrons… Les autres, qui ne sont pas de notre race, ils devront disparaître… »

L’Histoire ne se répète pas, mais elle a quelquefois tendance à bégayer. Bertolt Brecht nous avait prévenu : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde »

Il serait évidemment scandaleux, en tout cas très exagéré, de comparer aujourd’hui la condition des « sans papiers » à celle des juifs au temps du IIIème Reich. Les flics n’ont d’ailleurs pas besoin de les marquer d’une étoile jaune pour les reconnaître au premier coup d’oeil. Les deux expériences ont tout de même un point commun. Dans les deux cas, il s’agit de trier les individus d’après leur pedigree, suivant qu’ils sont de bonne provenance ou d’origine plus ou moins douteuse, donc à priori, de qualité inférieure. De compter d’une part ceux qui méritent d’être respectés en tant qu’êtres humains conformes aux normes « nationales », parce qu’ils sont en mesure de présenter des papiers attestant qu’ils sont nés du bon côté de la frontière ; et d’autre part ceux qui se trouvant incapables de produire la preuve de leur existence, auraient à peine le droit de vivre.
Serait-il indécent de demander pourquoi, dans un pays civilisé des gens se trouvent enfermés dans des espaces clôturés de fils de fer barbelés, pour la seule raison qu’ils ont le tort d’encombrer nos rues sans « permis d’exister » délivré par l’administration ? … Il n’est évidemment pas question de comparer les « camps de rétention » réservés en 2010 en France aux étrangers avec les camps de concentration nazis.
Il y a fort heureusement des nuances, même dans l’ignominie.

A ce propos, que veut dire l’expression « immigrés de la seconde génération », s’attachant à certaines personnes nées en France mais dont les traits ou la couleur de peau ne sont pas rigoureusement conformes au « modèle national » et qui, de ce fait, se trouvent soumis à des contrôles d’identité plus souvent qu’à leur tour ?
Que veut dire aussi l’expression « travailleur clandestin », appliquée à des gens qui travaillent au grand jour (et payent des impôts en conséquence), dont le nom est inscrit au répertoire des services des finances sans que leur existence « fiscale » puisse être retenue comme une preuve suffisante pour valider leur situation dans les registres d’état civil ?
Ce qui tend à prouver que s’il est devenu insupportable, après la Shoah, de faire référence à d’anciennes notions de « races » on en vient quand même à établir des « grades » dans l’espèce humaine ; de sorte qu’à défaut de « papiers », de « certificats d’origine », on arrive à traiter certains individus comme s’il s’agissait de produits de contrebande, de vulgaires « contrefaçons d’humanité », de déchets dont il faut se débarrasser à tout prix.

L’article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dit pourtant que « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. »
Reste maintenant à savoir ce qu’on entend exactement par « personne ».
Et si le Ministre a besoin d’instruments de comptage pour établir ses listes d’expulsion du territoire en fonction d’un certain « niveau de trop-plein national », avant de chercher à savoir ce qu’il faut comprendre par « identité nationale » il ferait beaucoup mieux de commencer par se demander ce que veut dire le mot « identité » proprement dit quand il s’applique à des personnes ; en élargissant la question, de sorte à établir la différence qu’il y a lieu de faire entre les êtres humains et les « choses ». Car à vouloir classer les individus en fonction de leurs origines on a vite fait de fixer des limites à l’espèce humaine. Comme au temps du IIIème Reich ; quand les responsables des camps de concentration considéraient qu’ils n’avaient à traiter que des lots de matières premières sans valeur ajoutée.

En 1995, en France, lors de la campagne présidentielle, le GEPEF (Groupe d’examen des programmes électoraux sur les étrangers en France) avait invité les différents candidats à s’exprimer clairement sur les mesures à prendre concernant la situation des étrangers et notamment sur la régularisation du statut des personnes « non expulsables ». La plupart des candidats n’ont pas jugé bon de répondre.

Lors des prochaines présidentielles, en 2012, si les candidats « officiels » sont incapables de traiter la question comme il convient il ne restera plus aux intéressés qu’essayer de se faire entendre par leurs propres moyens. A cet effet quelques « sans-papiers » ont délégué un de leurs camarades, Karim, comme porte parole.
A défaut de pouvoir le faire « en vraie grandeur », conformément aux règles du genre, Karim envisage de présenter sa candidature sur une scène de théâtre, dans une République imaginaire, sur « l’île des esclaves », ce qui, pour lui, revient strictement au même dans la mesure où là, au moins, il est libre de s’exprimer.

Si vous le souhaitez vous pouvez appuyer sa démarche en intervenant sur son site de campagne : http://www.karim-sans-papiers.com/

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