mardi 6 avril 2010

NOUS SOMMES TOUS DES ETRANGERS

Prolégomènes à la candidature d’un « sans-papiers » à la Présidence de la République

Le 2 novembre 2009, le Ministre de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale,Eric BESSON invitait les préfets de départements à organiser des débats locaux sur "« l’identité nationale ».

Les participants étaient tenus de répondre à la question suivante : « Pour vous qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? »
Au cours d’une visite dans les Balkans, au mois de décembre 2009, Eric BESSON exposait les principes de sa « philosophie » :
« Il doit y avoir une hiérarchie des appartenances. Chacun a son histoire personnelle, son lieu de naissance, sa religion éventuelle. Il ne s’agit pas de renoncer à cette histoire, mais d’accepter, lorsqu’on est français qu’elle devienne seconde par rapport à une autre, c'est-à-dire l’appartenance à la nation. »
En suivant ce genre de « raisonnement » on en viendrait bientôt à remplacer la « carte nationale d’identité » par une « carte d’identité nationale » Comme s’il suffisait de changer l’ordre des mots pour modifier l’ordre du monde.
Il serait évidemment plus facile de gouverner si chaque individu renonçait d’être ce qu’il est, pour s’aligner avec « les autres » sous un même uniforme, dans une sorte de service « national », tel qu’il se pratiquait autrefois dans les casernes. Et tellement plus reposant, pour les intéressés eux-mêmes, d’être assurés que l’uniforme va penser à leur place.
En Allemagne, en 1933, un autre « philosophe » (mais un vrai, celui-là), Martin Heidegger affirmait que « l’individu, où qu’il se dresse ne vaut rien ». Il ne voyait, lui aussi, de salut pour la société que par l’abandon des identités personnelles au bénéfice d’une « identité nationale » permettant au peuple de s’affirmer dans une mission historique fondée sur l’unité du sang et de la race.
Le pouvoir en place s’employait alors à renforcer la cohésion nationale par la mise à l’écart et l’exclusion d’une certaine frange de la population jugée indésirable, voire même considérée, en raison de sa « race », comme un déchet d’humanité.
Le 7 avril 1942, Heinrich Himmler, devant l’Etat Major SS, jetait les bases de « la solution finale » qui devait conduire à l’extermination de 6 millions de personnes:

« Tout ce que nous faisons doit être justifié par rapport à nos ancêtres. Si nous ne retrouvons pas cette attache morale, la plus profonde et la meilleure parce que la plus naturelle, nous ne serons pas capables à ce niveau de vaincre le christianisme et de constituer ce Reich germanique qui sera une bénédiction pour la terre entière. Depuis des millénaires, c'est le devoir de la race blonde que de dominer la terre et de toujours lui apporter bonheur et civilisation…. Il m’est totalement indifférent de savoir si les autres nations vivent prospères, ou crèvent de faim. Leurs peuples m’intéressent dans la seule mesure où ils peuvent nous être nécessaires comme esclaves de notre culture. Le sang de bonne qualité, de même nature que le nôtre, que tous ces peuples peuvent nous offrir, nous le prendrons… Les autres, qui ne sont pas de notre race, ils devront disparaître… »

L’Histoire ne se répète pas, mais elle a quelquefois tendance à bégayer. Bertolt Brecht nous avait prévenu : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde »

Il serait évidemment scandaleux, en tout cas très exagéré, de comparer aujourd’hui la condition des « sans papiers » à celle des juifs au temps du IIIème Reich. Les flics n’ont d’ailleurs pas besoin de les marquer d’une étoile jaune pour les reconnaître au premier coup d’oeil. Les deux expériences ont tout de même un point commun. Dans les deux cas, il s’agit de trier les individus d’après leur pedigree, suivant qu’ils sont de bonne provenance ou d’origine plus ou moins douteuse, donc à priori, de qualité inférieure. De compter d’une part ceux qui méritent d’être respectés en tant qu’êtres humains conformes aux normes « nationales », parce qu’ils sont en mesure de présenter des papiers attestant qu’ils sont nés du bon côté de la frontière ; et d’autre part ceux qui se trouvant incapables de produire la preuve de leur existence, auraient à peine le droit de vivre.
Serait-il indécent de demander pourquoi, dans un pays civilisé des gens se trouvent enfermés dans des espaces clôturés de fils de fer barbelés, pour la seule raison qu’ils ont le tort d’encombrer nos rues sans « permis d’exister » délivré par l’administration ? … Il n’est évidemment pas question de comparer les « camps de rétention » réservés en 2010 en France aux étrangers avec les camps de concentration nazis.
Il y a fort heureusement des nuances, même dans l’ignominie.

A ce propos, que veut dire l’expression « immigrés de la seconde génération », s’attachant à certaines personnes nées en France mais dont les traits ou la couleur de peau ne sont pas rigoureusement conformes au « modèle national » et qui, de ce fait, se trouvent soumis à des contrôles d’identité plus souvent qu’à leur tour ?
Que veut dire aussi l’expression « travailleur clandestin », appliquée à des gens qui travaillent au grand jour (et payent des impôts en conséquence), dont le nom est inscrit au répertoire des services des finances sans que leur existence « fiscale » puisse être retenue comme une preuve suffisante pour valider leur situation dans les registres d’état civil ?
Ce qui tend à prouver que s’il est devenu insupportable, après la Shoah, de faire référence à d’anciennes notions de « races » on en vient quand même à établir des « grades » dans l’espèce humaine ; de sorte qu’à défaut de « papiers », de « certificats d’origine », on arrive à traiter certains individus comme s’il s’agissait de produits de contrebande, de vulgaires « contrefaçons d’humanité », de déchets dont il faut se débarrasser à tout prix.

L’article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dit pourtant que « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. »
Reste maintenant à savoir ce qu’on entend exactement par « personne ».
Et si le Ministre a besoin d’instruments de comptage pour établir ses listes d’expulsion du territoire en fonction d’un certain « niveau de trop-plein national », avant de chercher à savoir ce qu’il faut comprendre par « identité nationale » il ferait beaucoup mieux de commencer par se demander ce que veut dire le mot « identité » proprement dit quand il s’applique à des personnes ; en élargissant la question, de sorte à établir la différence qu’il y a lieu de faire entre les êtres humains et les « choses ». Car à vouloir classer les individus en fonction de leurs origines on a vite fait de fixer des limites à l’espèce humaine. Comme au temps du IIIème Reich ; quand les responsables des camps de concentration considéraient qu’ils n’avaient à traiter que des lots de matières premières sans valeur ajoutée.

En 1995, en France, lors de la campagne présidentielle, le GEPEF (Groupe d’examen des programmes électoraux sur les étrangers en France) avait invité les différents candidats à s’exprimer clairement sur les mesures à prendre concernant la situation des étrangers et notamment sur la régularisation du statut des personnes « non expulsables ». La plupart des candidats n’ont pas jugé bon de répondre.

Lors des prochaines présidentielles, en 2012, si les candidats « officiels » sont incapables de traiter la question comme il convient il ne restera plus aux intéressés qu’essayer de se faire entendre par leurs propres moyens. A cet effet quelques « sans-papiers » ont délégué un de leurs camarades, Karim, comme porte parole.
A défaut de pouvoir le faire « en vraie grandeur », conformément aux règles du genre, Karim envisage de présenter sa candidature sur une scène de théâtre, dans une République imaginaire, sur « l’île des esclaves », ce qui, pour lui, revient strictement au même dans la mesure où là, au moins, il est libre de s’exprimer.

Si vous le souhaitez vous pouvez appuyer sa démarche en intervenant sur son site de campagne : http://www.karim-sans-papiers.com/

jeudi 1 avril 2010

PATHOLOGIES DE LA Vème REPUBLIQUE

La République a été proclamée pour la première fois en France le 22 septembre 1792. En 200 ans elle a pris cinq formes différentes, numérotées de Un à Cinq, qui dans l’ensemble ont fait l’objet d’une dizaine de Constitutions. Alors que les Etats-Unis, dont l’histoire est moins tourmentée, n’ont pas éprouvé le besoin d’en changer depuis le 4 mars 1789 ; ils se sont contentés de la corriger par 24 amendements. Par contre, à elle seule, en 50 ans la Constitution de la Vème République a été révisée 28 fois. En 1981, si François Mitterrand, qui fut à l’origine un de ses plus virulents détracteurs, n’a pas jugé bon de la remplacer par une autre, c’est qu’il devait avoir ses raisons. En bon avocat appelé à plaider les causes les plus indéfendables, il a probablement pensé que la Constitution devait pouvoir se lire aussi bien de gauche à droite que de droite à gauche. Dans une interview qu’il accordait au journal Combat le 22 octobre 1962 il déclarait en effet :« Je ne dis pas qu’il ne faille pas tirer de la Constitution ce qu’elle peut avoir de bon, et notamment le fait d’avoir à la tête de l’Etat un homme qui dispose d’une certaine stabilité et de grands pouvoirs.» Pourtant certains voudraient aujourd’hui mettre en place une sixième République. Mais à gauche aussi bien qu’à droite, personne ne semble disposé à déclencher une révolution ou un coup d’Etat militaire qui permettrait de mettre fin à ce régime. Il faut donc faire avec. Le tout est de savoir comment il serait possible de changer les choses sans rien casser.
En 1958, la France était encore une puissance coloniale. Elle n’est plus maintenant qu’une province de l’Europe. Le peuple français qui, le 29 mai 2005 a rejeté à plus de 52% le traité proposant une Constitution pour l’Europe n’a rien à voir avec le corps électoral qui, le 28 septembre 1958, a adopté à 85% la Constitution de la Vème République. La question s'adressait alors à près de 46 millions d'électeurs (dont 26.6 millions en Métropole et 19 millions - soit 42 % - dans les territoires d'outre-mer).

En Métropole la réponse a été OUI à 79%. Dans les territoires d'outre-mer, formés pour la plupart d'anciennes colonies, le OUI l'emportait à 94 % des suffrages exprimés ; à l'exception de la Guinée qui, avec 95 % de NON décidait de se retirer de la Communauté. Le Général de Gaulle ne se faisait pas trop d'illusions sur l’avenir de ce Commonwealth à la française:

"La Communauté, c'est de la foutaise ! Ces gens là, à peine entrés, n'auront qu'une idée : celle d'en sortir.". Ce que, pour la plupart, ils feront deux ans plus tard en déclarant leur indépendance. Les institutions de la Vème République ont donc été décidées presque pour moitié (42%) par des gens dont les petits enfants sont aujourd’hui considérés comme des étrangers indésirables.
De 1946 à 1958, la IVème République n’a rien fait d’autre que reproduire les errements de la IIIème ; en douze ans d’existence 27 gouvernements se sont succédés, d’une durée moyenne de 5 mois, certains n’ont tenu que deux jours. En 1946, dans ses discours de Bayeux et d’Epinal, le Général de Gaulle avait exposé les idées qu’on aurait dû suivre pour fonder la Constitution de la IVème République en insistant sur le principe de la séparation des pouvoirs et sur le rôle déterminant du Chef de l’Etat :«C'est du chef de l'État, placé au-dessus des partis que doit procéder le pouvoir exécutif…À lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques. » Le 27 aout 1958, Michel Debré justifiait devant le Conseil d’Etat la nécessité d’en venir au régime présidentiel dont rêvait le Général de Gaulle.

« … la tentation est grande, après avoir pâti de l’anarchie et de l’impuissance, résultats d’un régime conventionnel, de chercher refuge dans l’ordre et l’autorité du régime présidentiel… Le régime présidentiel est la forme démocratique qui est à l’opposé du régime d’assemblée. ». Il jugeait toutefois préférable d’en différer la mise en application : « Le régime présidentiel est présentement hors d’état de fonctionner en France… [il] est actuellement dangereux à mettre en œuvre…. le Président de la République n’a pas d’autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir : il sollicite le Parlement, il sollicite le Conseil constitutionnel, il sollicite le suffrage universel ». Pourtant l’idée de procéder à l’élection du Président de la République au suffrage universel lui paraissait, à cette époque, inapplicable. Les électeurs d’outre-mer pesaient trop lourd ; à cause d’eux la balance risquait de pencher du mauvais côté. Les consulter à ce sujet, disait-il, «ne serait pas raisonnable et serait gravement de nature à nuire à l’unité de l’ensemble comme à la considération que l’on doit au chef de l’Etat». D’après lui, le danger venait aussi de «l’attitude de révolte qu’un certain parti [encadrait] avec force». (Le Parti communiste avait en effet recueilli 26% des suffrages aux élections législatives de 1956).
Il convient de noter que la Constitution de la Vème République est bâtie très exactement à l’envers de la Constitution américaine. Il suffit de comparer leurs structures respectives. Les deux constitutions sont fondées sur la souveraineté du peuple et sur le principe de la séparation des pouvoirs, législatif, exécutif, judiciaire, tel que l’avait défini Montesquieu. Suivant le plan de la Constitution américaine le législatif est placé avant l’exécutif qui ne peut rien faire sans l’accord du Congrès. La Constitution française, au contraire, où l’ordre des chapitres est très exactement l’inverse, instaure un rapport de domination de l’exécutif sur le législatif.
A ce jour, la Constitution de la Vème République a fait l’objet de 28 révisions. Deux d’entre elles ont considérablement modifié le paysage politique. La première, adoptée par référendum le 28 septembre 1962 à plus de 61% des suffrages exprimés et 23 % d’abstentions décidait que le Président de Président de la République serait désormais élu au suffrage universel pour une durée de sept ans. La seconde adoptée elle aussi par référendum le 24 septembre 2000 à 73% des suffrages exprimés mais avec près de 70% d’abstentions (69.81%) ramenait la durée du mandat présidentiel à 5 ans. Le 31 janvier 1964, dans une conférence de presse, le Général de Gaulle s’expliquait sur l’usage qu’on pouvait faire des textes : «Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique… Notre Constitution est bonne. Elle a fait ses preuves depuis plus de cinq années, aussi bien dans des moments menaçants pour la République qu’en des périodes de tranquillité. Sans doute, d’autres circonstances et d’autres hommes donneront-ils plus tard à son application un tour, un style, plus ou moins différents. Concurremment avec l’esprit et avec le texte, il y a la pratique… »
Les deux révisions en question ont déterminé trois profils différents, trois styles de gouvernement, trois types de rapport entre l’exécutif et le législatif. Elles ont dessiné trois périodes : la première de 1958 à 1965, la seconde de 1965 à 2002, la troisième à partir de 2002. En 1958 le Général de Gaulle est appelé à régler les problèmes que les gouvernements de la IVème République n’ont pas été capables de résoudre, en particulier la question algérienne. De 1958 à 1965, les institutions de la République ont plutôt la forme d’un règlement militaire où les ordres venus d’en haut ne se discutent pas. Le législatif est aux mains d’un seul parti l’UNR soumis aux directives de son chef. Ses membres sont souvent traités de « godillots ».

A partir de 1965, s’ouvre une seconde période. La question algérienne étant réglée, le Général de Gaulle va poursuivre son rêve d’établir la synthèse entre la république et la monarchie. De 1965 à 2002, la République va donc prendre la forme d’une « monarchie républicaine ». Le 5 décembre 1965, les citoyens français sont appelés, pour la première fois, à élire le Président de la République au suffrage universel. Le général de Gaulle avait voulu ce changement de mode de scrutin pour«qu’au dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons.»(Discours de Bayeux 16 juin 1946).

Il paraît déçu par cette première expérience :

« Hélas ! Ca ne vole pas haut. Comme tout çà est médiocre.» Au cours d’une conversation avec Alain Peyrefitte, il juge avec sévérité ses concurrents, leur reprochant de «patauger dans la bassesse» :

«Mitterrand est le plus roublard, le plus dangereux ; il est prêt à soutenir toutes les thèses, à renier tout le monde et à se renier lui-même pour s’emparer du pouvoir.

Lecanuet c’est l’enfant de chœur qui a bu le vin des burettes et qui s’en est enivré.

Tixier-Vignancourt, c’est Vichy, la collaboration fière d’elle-même.

Marcilhacy, c’est le notable, sûr de lui parce qu’il est notable, et qu’il regarde de haut les Français, comme si les pouvoirs de la République lui étaient dus par droit d’hérédité.

Barbu, c’est un brave couillon, il y en a beaucoup qui doivent se reconnaître en lui. »


Au premier tour, le Général de Gaulle est mis en ballotage. Il est élu au second tour avec 54.51% des suffrages contre 43.71% à François Mitterrand. Il ne terminera pas son mandat. Il démissionnera le 28 avril 1969 après l’échec du référendum qu’il avait proposé.

Les élections présidentielles qui vont suivre ne voleront pas plus haut que la première. A deux exceptions près le second tour opposera toujours un candidat de droite à un candidat de gauche. Et pourtant le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel aura notamment pour effet de mettre en avant les personnes au détriment de leurs programmes. Les jugements que le Général porte sur ses concurrents en sont l’illustration. A trois reprises au cours de cette période, le calendrier des échéances électorales mettra le Président dans l’obligation de choisir entre deux attitudes : ou se démettre ou composer avec un Premier Ministre d’un bord opposé. Ce seront les années de cohabitation. Mais dans tous les cas, à un moment ou un autre, les Présidents ont eu du fil à retordre avec des Premiers Ministres impatients de prendre la place. A commencer par Pompidou. Sur les 18 Premiers ministres de la Vème République 8 se sont portés candidats à la Présidence.


A partir de 2002 le vent tourne. Le Président de la République est devenu un « produit » qu’il faut vendre à tout prix. A cet effet, le 23 avril 2002, entre les deux tours de l’élection présidentielle et pour préparer les élections législatives à suivre, Jacques Chirac fondera l’UMP : Union pour la Majorité Présidentielle qui se camouflera plus tard sous l’étiquette Union pour un Mouvement Populaire. A partir de là le choix du Président va devenir une opération commerciale favorisant le développement de nombreux produits dérivés dont les télévisions, les médias, les instituts de sondage, les agences de publicité et les magazines people font largement faire leur beurre. On est sorti de la « monarchie républicaine » pour entrer de plein pied dans la république du show-bizz. Par ailleurs, du fait de la coïncidence des échéances électorales le Président ne risque plus d’avoir à supporter une nouvelle cohabitation. Qu’a cela ne tienne en 2007, le nouveau Président trouvera le moyen d’en inventer une autre consistant à prendre la place du Premier Ministre, réduit à l’état de simple figurant.
D’ici 2012 il faudra trouver le moyen d’en venir, sans rien casser, à une forme de République « plus raisonnable » où les textes pourront se lire dans le bon sens c'est-à-dire à partir de la gauche.


mardi 30 mars 2010

EXERCICE D'ARITHMETIQUE POLITIQUE


"La démocratie n'est pas le règne du nombre, c'est le règne du droit" (A LAIN)

A la question posée par référendum au peuple français le 29 Mai 2005 : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? »
le peuple a répondu non à 55%


Par deux fois, à trois ans d’intervalle, le peuple français a été appelé à se prononcer suivant le même mode de scrutin
- en avril/mai 2002 à l’occasion des élections présidentielles
- le 29 mai 2005 en réponse au référendum qui lui était soumis sur le projet de Constitution européenne

Par deux fois, le suffrage universel a permis de mesurer la diversité des opinions dans toute son étendue. Bien que les sujets proposés dans les deux cas soient totalement différents, il est tout de même possible de rapprocher les résultats. D’autant plus que les échantillons de population sur lesquels porte la comparaison sont sensiblement du même ordre ; à en juger par les taux d’abstention : 28.4% en 2002 contre 30.63% en 2005.
Pour mémoire, avec 69.81% d’abstention, le référendum sur le quinquennat, en septembre 2000 était loin d’avoir rencontré le même intérêt.
En 2005, à droite comme à gauche, dans tous les partis, les avis étaient partagés, suivant des proportions que les instituts de sondage ont pu mesurer :
- de 75% a 84% pour le OUI à droite
- de 88% a 98% pour le NON aux extrêmes, droite et gauche.
A titre de simulation, en appliquant, ligne par ligne, les conclusions de ces sondages aux résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 ; en supposant, de plus, qu’entre 2002 et 2005 les électeurs n’ont pas totalement changé d’opinion, on aurait pu donner une estimation des résultats.

SIMULATION A PARTIR DES RESULTATS DU 1er TOUR DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE DE 2002

D’après les sondages TNS/SOFRES le NON a gain de cause avec 56.65%
Sans compter les extrêmes ( droite et gauche ) le OUI l’emporterait à 58.60%

D’après le sondage BVA le NON est encore majoritaire avec 54.32%
Sans compter les extrêmes ( droite et gauche ) le OUI l’emporterait à 62.06%


La moyenne entre les deux sondages donne le NON à 55.48%

Certains ont jugé le projet illisible. Le fait est que les trois quarts au moins des électeurs ne l’ont pas lu. Mais ils en ont beaucoup entendu parler. A défaut de pouvoir se prononcer sur le texte lui-même, il semblerait qu’ils ont surtout suivi les conclusions de ceux qui l’ont lu pour eux. Il ne faut donc pas s’étonner de les voir s’exprimer, à gauche comme à droite, dans des proportions comparables à celles de 2002.
Plutôt que de considérer ce scrutin comme une revanche sur l’élection ratée de 2002, une sanction à l’égard du Gouvernement, il vaut peut-être mieux y voir un effet de qu’on peut attendre du suffrage universel quand il se trouve à ses états-limites, au bord de la rupture.
On vient de voir qu’en faisant abstraction des extrêmes (droite et gauche) le résultat du référendum se trouverait inversé.
Au lieu de faire appel au suffrage universel, le projet pouvait aussi bien être soumis à l’Assemblée nationale, comme cela s’est fait dans d’autres Etats membres, en Allemagne, par exemple .
En suivant la même méthode que précédemment, on aurait obtenu les résultats suivants :

SIMULATION A PARTIR DE LA COMPOSITION DE L’ASSEMBLEE NATIONALE

D’après les sondages TNS/SOFRES 64% pour le OUI

D’après le sondage BVA 71% pour le OUI


Soit, en moyenne, 67% pour le OUI. Ce résultat n’a rien de surprenant dans la mesure où les extrêmes, droite et gauche, ne sont pas représentés au Parlement.

CONCLUSION

Si, à l’occasion des législatives qui ont suivi les présidentielles en 2002, on avait convenu de distribuer entre les partis les 577 sièges de l’Assemblée en proportion des suffrages obtenus par leurs candidats le 21 avril, le Front National aurait obtenu 111 sièges et l’extrême-gauche 61 sièges ; au lieu de quoi aucun des deux n’est représenté.

Est-ce à dire que pour « fonctionner correctement » le champ démocratique a besoin de rogner ses marges ?
En d’autres circonstances et dans un contexte tout à fait différent, en 1967, Maurice DUVERGER voyait dans ce système une forme de « démocratie sans le peuple ».

Athènes, en son temps, avait réglé la question en excluant les femmes, les esclaves et les métèques.
En France, en 1791, le droit de vote était réservé aux « citoyens actifs » âgés de plus de 25 ans payant un impôt égal à trois jours de travail.
En 1799 les électeurs devaient figurer sur des « listes de confiance » établies au terme d’une procédure de filtrage.
En 1815, les électeurs devaient avoir plus de 30 ans et être assujettis à une contribution de 300 francs au moins.
A partir de 1848 où le suffrage universel est finalement adopté, le droit de vote est fixé à 21 ans.
Le 21 avril 1944 le droit de vote est accordé aux femmes.
En 1974 il est fixé à 18 ans.

Aux Etat-Unis le droit de vote est refusé aux noirs ; jusqu’en 1965 où le Voting Rigths Act leur accorde enfin le même droit qu’aux blancs ; mettant, par la même occasion, un terme au règlement suivant lequel, dans certains Etats, il était exigé de payer une taxe de vote pour être admis à voter.
Mais pour Jamin RASKIN, professeur de droit constitutionnel au Washington Collège of Law, le système électoral américain, bien qu’il soit souvent présenté comme un modèle, est encore loin de satisfaire aux principes démocratiques essentiels. La plupart des Etats choisissent leurs grands électeurs sur la base du tout ou rien ; de sorte que plus de la moitié des Américains ne votent pas. Le vice du système est illustré par l’élection présidentielle de 2000 où, avec six voix de plus au collège des grands électeurs, le républicain George W.BUSCH parvient à devancer le démocrate AL GORE bien que celui-ci ait recueilli 500 000 voix de plus dans l’ensemble de l’électorat.

« Il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. » affirmait Jean-Jacques ROUSSEAU.
Il faut le reconnaître : jusqu’ici l’Histoire confirme.

Il serait tellement passionnant d’essayer de lui donner tort.

dimanche 28 mars 2010

POURQUOI UN PRESIDENT ?


« Les hommes sont fort à plaindre d’avoir à être gouvernés par un roi, qui n’est qu’homme semblable à eux »
FENELON Les aventures de Télémaque (1699)

L’idée de distinguer un citoyen parmi plusieurs millions pour lui conférer le titre de Président de la République n’est pas venue du jour au lendemain.

Après avoir tenté d’y échapper par différents moyens, la Première République a quand même fini par se décider à choisir quelqu’un pour jouer ce rôle ; mais au lieu de le nommer Président ce fut pour lui donner le titre d’Empereur ; et cesser, par la même occasion, d’être une République. Etait-il besoin de tant s’agiter, pendant dix ans, pour en venir à remplacer une tête couronnée par une autre ? Avec, en plus, la bénédiction du pape pour faire bonne mesure.
En 1789 quand, après l’avoir supportée douze siècles, le peuple français décida d’en finir une fois pour toutes avec la monarchie, il ne supprima pas le Roi tout de suite. Le temps de lui trouver un remplaçant, le Roi de France « par la grâce de Dieu » se trouva tout d’abord rétrogradé au rang de Roi des Français, à la fois « par la grâce de Dieu » et « par la volonté du peuple », ne disposant plus du pouvoir que par délégation, aux termes de la Constitution de 1791.
Après avoir enfin tourné la page, dès qu’il fut question en 1793 de mettre en chantier une véritable Constitution démocratique, sans doute semblait-il déplacé, en tout cas peu conforme à l’idée qu’on pouvait se faire de la démocratie, qu’on en vienne à placer de nouveau le pouvoir exécutif entre les mains d’une seule personne.
Une première solution proposée par Condorcet en février 1793 consistait à prévoir un Conseil exécutif de la République composé de sept ministres ; la présidence du Conseil se trouvant assurée par l’un ou l’autre, à tour de rôle, pendant quinze jours. Mais la Constitution adoptée le 24 juin, qui ne fut d’ailleurs jamais appliquée, opta en fin de compte pour un Conseil exécutif composé de 24 membres. Deux ans plus tard la Constitution de 1795 entreprit de réduire ce nombre, disposant que le pouvoir exécutif serait délégué à un Directoire de cinq membres ; avant d’en arriver en 1799, avec une nouvelle Constitution, à un gouvernement composé de trois consuls ; dont un Premier Consul du nom de Bonaparte, qui eût bientôt fait de se défaire des deux autres. La boucle se trouvait ainsi bouclée.

Le premier à porter le titre de Président de la République fut George Washington, en 1787 ; bien qu’on ait envisagé un moment de lui conférer la royauté. Mais le titre de Président lui paraissait convenir mieux à une démocratie que celui de roi.

En 1848, la Constitution de la Deuxième République s’inspira du modèle américain en établissant que le peuple français déléguait le pouvoir exécutif à un citoyen qui recevait le titre de Président de la République ; disposant que celui-ci serait élu pour quatre ans au suffrage universel et qu’il ne serait rééligible qu’après un délai de quatre ans. On connaît la suite et comment Louis Napoléon Bonaparte n’attendit pas la fin de son mandat pour liquider la République et rétablir l’autorité impériale.
Ce qui tend à prouver, contrairement aux apparences, que le suffrage universel n’est pas, dans la pratique, aussi démocratique qu’on voudrait, dans la mesure où il recèle un réel pouvoir de nuisance contre lequel il y a lieu de se prémunir.

Sur ce point la Constitution des Etats-Unis a tenté de tourner la difficulté par un système d’élection à deux niveaux où, dans chaque Etat de l’Union, les citoyens désignent un certain nombre de grands électeurs, au total 538, chargés un mois plus tard, de désigner le Président. Sans parvenir à éviter quelques « dérapages », comme ce fût le cas en 2000 où le candidat démocrate AL GORE, bien qu’il ait obtenu 500 000 voix de plus que son concurrent dut s’incliner devant George W.BUSH qui le devançait de six voix du côté des grands électeurs.

En France, par mesure de précaution, après l’échec de la Deuxième République, plutôt que d’avoir de nouveau recours au suffrage universel, il fut décidé que le Président de la République serait élu pour sept ans par un collège électoral restreint composé du Sénat et de la Chambre des Députés réunis en Assemblée Nationale ; cette charge lui étant consentie surtout à titre honorifique, pour satisfaire aux exigences du protocole ; l’essentiel du pouvoir exécutif se trouvant placé par ailleurs entre les mains du Président du Conseil ; au moins pour le temps que les combinaisons parlementaires veuillent bien lui en laisser le loisir ; en moyenne sept mois.

En 1948 la Quatrième République reprenait les mêmes dispositions. Et la Cinquième en fit autant en 1958.

Bien que la décision prise en 1962 d’en revenir à l’élection du Président de la République au suffrage universel ait, dans un premier temps, réveillé le souvenir d’un précédent fâcheux et suscité bien des inquiétudes, le principe a fini par être accepté, mieux encore, exploité pendant 14 ans par l’un de ses plus virulents détracteurs.
Il n’en reste pas moins, qu’en se présentant comme un concours individuel l’élection est faussée au départ, dans la mesure où, par facilité, elle tend à donner plus d’importance à l’image des candidats qu’à leurs programmes.