jeudi 1 avril 2010

PATHOLOGIES DE LA Vème REPUBLIQUE

La République a été proclamée pour la première fois en France le 22 septembre 1792. En 200 ans elle a pris cinq formes différentes, numérotées de Un à Cinq, qui dans l’ensemble ont fait l’objet d’une dizaine de Constitutions. Alors que les Etats-Unis, dont l’histoire est moins tourmentée, n’ont pas éprouvé le besoin d’en changer depuis le 4 mars 1789 ; ils se sont contentés de la corriger par 24 amendements. Par contre, à elle seule, en 50 ans la Constitution de la Vème République a été révisée 28 fois. En 1981, si François Mitterrand, qui fut à l’origine un de ses plus virulents détracteurs, n’a pas jugé bon de la remplacer par une autre, c’est qu’il devait avoir ses raisons. En bon avocat appelé à plaider les causes les plus indéfendables, il a probablement pensé que la Constitution devait pouvoir se lire aussi bien de gauche à droite que de droite à gauche. Dans une interview qu’il accordait au journal Combat le 22 octobre 1962 il déclarait en effet :« Je ne dis pas qu’il ne faille pas tirer de la Constitution ce qu’elle peut avoir de bon, et notamment le fait d’avoir à la tête de l’Etat un homme qui dispose d’une certaine stabilité et de grands pouvoirs.» Pourtant certains voudraient aujourd’hui mettre en place une sixième République. Mais à gauche aussi bien qu’à droite, personne ne semble disposé à déclencher une révolution ou un coup d’Etat militaire qui permettrait de mettre fin à ce régime. Il faut donc faire avec. Le tout est de savoir comment il serait possible de changer les choses sans rien casser.
En 1958, la France était encore une puissance coloniale. Elle n’est plus maintenant qu’une province de l’Europe. Le peuple français qui, le 29 mai 2005 a rejeté à plus de 52% le traité proposant une Constitution pour l’Europe n’a rien à voir avec le corps électoral qui, le 28 septembre 1958, a adopté à 85% la Constitution de la Vème République. La question s'adressait alors à près de 46 millions d'électeurs (dont 26.6 millions en Métropole et 19 millions - soit 42 % - dans les territoires d'outre-mer).

En Métropole la réponse a été OUI à 79%. Dans les territoires d'outre-mer, formés pour la plupart d'anciennes colonies, le OUI l'emportait à 94 % des suffrages exprimés ; à l'exception de la Guinée qui, avec 95 % de NON décidait de se retirer de la Communauté. Le Général de Gaulle ne se faisait pas trop d'illusions sur l’avenir de ce Commonwealth à la française:

"La Communauté, c'est de la foutaise ! Ces gens là, à peine entrés, n'auront qu'une idée : celle d'en sortir.". Ce que, pour la plupart, ils feront deux ans plus tard en déclarant leur indépendance. Les institutions de la Vème République ont donc été décidées presque pour moitié (42%) par des gens dont les petits enfants sont aujourd’hui considérés comme des étrangers indésirables.
De 1946 à 1958, la IVème République n’a rien fait d’autre que reproduire les errements de la IIIème ; en douze ans d’existence 27 gouvernements se sont succédés, d’une durée moyenne de 5 mois, certains n’ont tenu que deux jours. En 1946, dans ses discours de Bayeux et d’Epinal, le Général de Gaulle avait exposé les idées qu’on aurait dû suivre pour fonder la Constitution de la IVème République en insistant sur le principe de la séparation des pouvoirs et sur le rôle déterminant du Chef de l’Etat :«C'est du chef de l'État, placé au-dessus des partis que doit procéder le pouvoir exécutif…À lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques. » Le 27 aout 1958, Michel Debré justifiait devant le Conseil d’Etat la nécessité d’en venir au régime présidentiel dont rêvait le Général de Gaulle.

« … la tentation est grande, après avoir pâti de l’anarchie et de l’impuissance, résultats d’un régime conventionnel, de chercher refuge dans l’ordre et l’autorité du régime présidentiel… Le régime présidentiel est la forme démocratique qui est à l’opposé du régime d’assemblée. ». Il jugeait toutefois préférable d’en différer la mise en application : « Le régime présidentiel est présentement hors d’état de fonctionner en France… [il] est actuellement dangereux à mettre en œuvre…. le Président de la République n’a pas d’autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir : il sollicite le Parlement, il sollicite le Conseil constitutionnel, il sollicite le suffrage universel ». Pourtant l’idée de procéder à l’élection du Président de la République au suffrage universel lui paraissait, à cette époque, inapplicable. Les électeurs d’outre-mer pesaient trop lourd ; à cause d’eux la balance risquait de pencher du mauvais côté. Les consulter à ce sujet, disait-il, «ne serait pas raisonnable et serait gravement de nature à nuire à l’unité de l’ensemble comme à la considération que l’on doit au chef de l’Etat». D’après lui, le danger venait aussi de «l’attitude de révolte qu’un certain parti [encadrait] avec force». (Le Parti communiste avait en effet recueilli 26% des suffrages aux élections législatives de 1956).
Il convient de noter que la Constitution de la Vème République est bâtie très exactement à l’envers de la Constitution américaine. Il suffit de comparer leurs structures respectives. Les deux constitutions sont fondées sur la souveraineté du peuple et sur le principe de la séparation des pouvoirs, législatif, exécutif, judiciaire, tel que l’avait défini Montesquieu. Suivant le plan de la Constitution américaine le législatif est placé avant l’exécutif qui ne peut rien faire sans l’accord du Congrès. La Constitution française, au contraire, où l’ordre des chapitres est très exactement l’inverse, instaure un rapport de domination de l’exécutif sur le législatif.
A ce jour, la Constitution de la Vème République a fait l’objet de 28 révisions. Deux d’entre elles ont considérablement modifié le paysage politique. La première, adoptée par référendum le 28 septembre 1962 à plus de 61% des suffrages exprimés et 23 % d’abstentions décidait que le Président de Président de la République serait désormais élu au suffrage universel pour une durée de sept ans. La seconde adoptée elle aussi par référendum le 24 septembre 2000 à 73% des suffrages exprimés mais avec près de 70% d’abstentions (69.81%) ramenait la durée du mandat présidentiel à 5 ans. Le 31 janvier 1964, dans une conférence de presse, le Général de Gaulle s’expliquait sur l’usage qu’on pouvait faire des textes : «Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique… Notre Constitution est bonne. Elle a fait ses preuves depuis plus de cinq années, aussi bien dans des moments menaçants pour la République qu’en des périodes de tranquillité. Sans doute, d’autres circonstances et d’autres hommes donneront-ils plus tard à son application un tour, un style, plus ou moins différents. Concurremment avec l’esprit et avec le texte, il y a la pratique… »
Les deux révisions en question ont déterminé trois profils différents, trois styles de gouvernement, trois types de rapport entre l’exécutif et le législatif. Elles ont dessiné trois périodes : la première de 1958 à 1965, la seconde de 1965 à 2002, la troisième à partir de 2002. En 1958 le Général de Gaulle est appelé à régler les problèmes que les gouvernements de la IVème République n’ont pas été capables de résoudre, en particulier la question algérienne. De 1958 à 1965, les institutions de la République ont plutôt la forme d’un règlement militaire où les ordres venus d’en haut ne se discutent pas. Le législatif est aux mains d’un seul parti l’UNR soumis aux directives de son chef. Ses membres sont souvent traités de « godillots ».

A partir de 1965, s’ouvre une seconde période. La question algérienne étant réglée, le Général de Gaulle va poursuivre son rêve d’établir la synthèse entre la république et la monarchie. De 1965 à 2002, la République va donc prendre la forme d’une « monarchie républicaine ». Le 5 décembre 1965, les citoyens français sont appelés, pour la première fois, à élire le Président de la République au suffrage universel. Le général de Gaulle avait voulu ce changement de mode de scrutin pour«qu’au dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons.»(Discours de Bayeux 16 juin 1946).

Il paraît déçu par cette première expérience :

« Hélas ! Ca ne vole pas haut. Comme tout çà est médiocre.» Au cours d’une conversation avec Alain Peyrefitte, il juge avec sévérité ses concurrents, leur reprochant de «patauger dans la bassesse» :

«Mitterrand est le plus roublard, le plus dangereux ; il est prêt à soutenir toutes les thèses, à renier tout le monde et à se renier lui-même pour s’emparer du pouvoir.

Lecanuet c’est l’enfant de chœur qui a bu le vin des burettes et qui s’en est enivré.

Tixier-Vignancourt, c’est Vichy, la collaboration fière d’elle-même.

Marcilhacy, c’est le notable, sûr de lui parce qu’il est notable, et qu’il regarde de haut les Français, comme si les pouvoirs de la République lui étaient dus par droit d’hérédité.

Barbu, c’est un brave couillon, il y en a beaucoup qui doivent se reconnaître en lui. »


Au premier tour, le Général de Gaulle est mis en ballotage. Il est élu au second tour avec 54.51% des suffrages contre 43.71% à François Mitterrand. Il ne terminera pas son mandat. Il démissionnera le 28 avril 1969 après l’échec du référendum qu’il avait proposé.

Les élections présidentielles qui vont suivre ne voleront pas plus haut que la première. A deux exceptions près le second tour opposera toujours un candidat de droite à un candidat de gauche. Et pourtant le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel aura notamment pour effet de mettre en avant les personnes au détriment de leurs programmes. Les jugements que le Général porte sur ses concurrents en sont l’illustration. A trois reprises au cours de cette période, le calendrier des échéances électorales mettra le Président dans l’obligation de choisir entre deux attitudes : ou se démettre ou composer avec un Premier Ministre d’un bord opposé. Ce seront les années de cohabitation. Mais dans tous les cas, à un moment ou un autre, les Présidents ont eu du fil à retordre avec des Premiers Ministres impatients de prendre la place. A commencer par Pompidou. Sur les 18 Premiers ministres de la Vème République 8 se sont portés candidats à la Présidence.


A partir de 2002 le vent tourne. Le Président de la République est devenu un « produit » qu’il faut vendre à tout prix. A cet effet, le 23 avril 2002, entre les deux tours de l’élection présidentielle et pour préparer les élections législatives à suivre, Jacques Chirac fondera l’UMP : Union pour la Majorité Présidentielle qui se camouflera plus tard sous l’étiquette Union pour un Mouvement Populaire. A partir de là le choix du Président va devenir une opération commerciale favorisant le développement de nombreux produits dérivés dont les télévisions, les médias, les instituts de sondage, les agences de publicité et les magazines people font largement faire leur beurre. On est sorti de la « monarchie républicaine » pour entrer de plein pied dans la république du show-bizz. Par ailleurs, du fait de la coïncidence des échéances électorales le Président ne risque plus d’avoir à supporter une nouvelle cohabitation. Qu’a cela ne tienne en 2007, le nouveau Président trouvera le moyen d’en inventer une autre consistant à prendre la place du Premier Ministre, réduit à l’état de simple figurant.
D’ici 2012 il faudra trouver le moyen d’en venir, sans rien casser, à une forme de République « plus raisonnable » où les textes pourront se lire dans le bon sens c'est-à-dire à partir de la gauche.


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