mardi 30 mars 2010

EXERCICE D'ARITHMETIQUE POLITIQUE


"La démocratie n'est pas le règne du nombre, c'est le règne du droit" (A LAIN)

A la question posée par référendum au peuple français le 29 Mai 2005 : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ? »
le peuple a répondu non à 55%


Par deux fois, à trois ans d’intervalle, le peuple français a été appelé à se prononcer suivant le même mode de scrutin
- en avril/mai 2002 à l’occasion des élections présidentielles
- le 29 mai 2005 en réponse au référendum qui lui était soumis sur le projet de Constitution européenne

Par deux fois, le suffrage universel a permis de mesurer la diversité des opinions dans toute son étendue. Bien que les sujets proposés dans les deux cas soient totalement différents, il est tout de même possible de rapprocher les résultats. D’autant plus que les échantillons de population sur lesquels porte la comparaison sont sensiblement du même ordre ; à en juger par les taux d’abstention : 28.4% en 2002 contre 30.63% en 2005.
Pour mémoire, avec 69.81% d’abstention, le référendum sur le quinquennat, en septembre 2000 était loin d’avoir rencontré le même intérêt.
En 2005, à droite comme à gauche, dans tous les partis, les avis étaient partagés, suivant des proportions que les instituts de sondage ont pu mesurer :
- de 75% a 84% pour le OUI à droite
- de 88% a 98% pour le NON aux extrêmes, droite et gauche.
A titre de simulation, en appliquant, ligne par ligne, les conclusions de ces sondages aux résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 ; en supposant, de plus, qu’entre 2002 et 2005 les électeurs n’ont pas totalement changé d’opinion, on aurait pu donner une estimation des résultats.

SIMULATION A PARTIR DES RESULTATS DU 1er TOUR DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE DE 2002

D’après les sondages TNS/SOFRES le NON a gain de cause avec 56.65%
Sans compter les extrêmes ( droite et gauche ) le OUI l’emporterait à 58.60%

D’après le sondage BVA le NON est encore majoritaire avec 54.32%
Sans compter les extrêmes ( droite et gauche ) le OUI l’emporterait à 62.06%


La moyenne entre les deux sondages donne le NON à 55.48%

Certains ont jugé le projet illisible. Le fait est que les trois quarts au moins des électeurs ne l’ont pas lu. Mais ils en ont beaucoup entendu parler. A défaut de pouvoir se prononcer sur le texte lui-même, il semblerait qu’ils ont surtout suivi les conclusions de ceux qui l’ont lu pour eux. Il ne faut donc pas s’étonner de les voir s’exprimer, à gauche comme à droite, dans des proportions comparables à celles de 2002.
Plutôt que de considérer ce scrutin comme une revanche sur l’élection ratée de 2002, une sanction à l’égard du Gouvernement, il vaut peut-être mieux y voir un effet de qu’on peut attendre du suffrage universel quand il se trouve à ses états-limites, au bord de la rupture.
On vient de voir qu’en faisant abstraction des extrêmes (droite et gauche) le résultat du référendum se trouverait inversé.
Au lieu de faire appel au suffrage universel, le projet pouvait aussi bien être soumis à l’Assemblée nationale, comme cela s’est fait dans d’autres Etats membres, en Allemagne, par exemple .
En suivant la même méthode que précédemment, on aurait obtenu les résultats suivants :

SIMULATION A PARTIR DE LA COMPOSITION DE L’ASSEMBLEE NATIONALE

D’après les sondages TNS/SOFRES 64% pour le OUI

D’après le sondage BVA 71% pour le OUI


Soit, en moyenne, 67% pour le OUI. Ce résultat n’a rien de surprenant dans la mesure où les extrêmes, droite et gauche, ne sont pas représentés au Parlement.

CONCLUSION

Si, à l’occasion des législatives qui ont suivi les présidentielles en 2002, on avait convenu de distribuer entre les partis les 577 sièges de l’Assemblée en proportion des suffrages obtenus par leurs candidats le 21 avril, le Front National aurait obtenu 111 sièges et l’extrême-gauche 61 sièges ; au lieu de quoi aucun des deux n’est représenté.

Est-ce à dire que pour « fonctionner correctement » le champ démocratique a besoin de rogner ses marges ?
En d’autres circonstances et dans un contexte tout à fait différent, en 1967, Maurice DUVERGER voyait dans ce système une forme de « démocratie sans le peuple ».

Athènes, en son temps, avait réglé la question en excluant les femmes, les esclaves et les métèques.
En France, en 1791, le droit de vote était réservé aux « citoyens actifs » âgés de plus de 25 ans payant un impôt égal à trois jours de travail.
En 1799 les électeurs devaient figurer sur des « listes de confiance » établies au terme d’une procédure de filtrage.
En 1815, les électeurs devaient avoir plus de 30 ans et être assujettis à une contribution de 300 francs au moins.
A partir de 1848 où le suffrage universel est finalement adopté, le droit de vote est fixé à 21 ans.
Le 21 avril 1944 le droit de vote est accordé aux femmes.
En 1974 il est fixé à 18 ans.

Aux Etat-Unis le droit de vote est refusé aux noirs ; jusqu’en 1965 où le Voting Rigths Act leur accorde enfin le même droit qu’aux blancs ; mettant, par la même occasion, un terme au règlement suivant lequel, dans certains Etats, il était exigé de payer une taxe de vote pour être admis à voter.
Mais pour Jamin RASKIN, professeur de droit constitutionnel au Washington Collège of Law, le système électoral américain, bien qu’il soit souvent présenté comme un modèle, est encore loin de satisfaire aux principes démocratiques essentiels. La plupart des Etats choisissent leurs grands électeurs sur la base du tout ou rien ; de sorte que plus de la moitié des Américains ne votent pas. Le vice du système est illustré par l’élection présidentielle de 2000 où, avec six voix de plus au collège des grands électeurs, le républicain George W.BUSCH parvient à devancer le démocrate AL GORE bien que celui-ci ait recueilli 500 000 voix de plus dans l’ensemble de l’électorat.

« Il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. » affirmait Jean-Jacques ROUSSEAU.
Il faut le reconnaître : jusqu’ici l’Histoire confirme.

Il serait tellement passionnant d’essayer de lui donner tort.

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