lundi 14 mars 2011

KARIM-SANS-PAPIERS CANDIDAT A LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE EN 2012

LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE MINISTRE DE L’INTERIEUR

Note préliminaire : Cette lettre était destinée à l’ancien Ministre de l’Intérieur, aujourd’hui mis au rancart en même temps que celle dont il avait pris la suite en 2009. Depuis le poste d’observation qu’il occupait alors à la Présidence, le nouveau titulaire n’a jamais jugé nécessaire de contrecarrer les initiatives de son prédécesseur. C’est donc à tous les deux que ce discours s’adresse.
Du reste, ce n’est pas le Ministre en personne qui est ici mis en cause mais plutôt les principes qu’il est chargé d’appliquer.

Monsieur le Ministre,

Mon nom est Karim. Je suis ce qu’il est convenu d’appeler : un « sans-papiers ».
J’ai toutefois décidé de faire acte de candidature à la Présidence de la République en 2012 ; contre toutes les règles, dans la mesure où je suis loin de satisfaire aux normes d’identité nationale fixées par vos services.
Si j’ai pris le parti de me présenter ce n’est donc pas en tant que sujet français mais en qualité de citoyen du monde, statut que nul ne peut me contester, à moins de me considérer comme un extra-terrestre. Je revendique simplement d’être compté comme être humain à part entière. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’espère ainsi pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. »
Pour satisfaire à cette obligation vos services ont considéré qu’il était suffisant de m’héberger dans un camp de rétention derrière un triple rang de fils de fer barbelés. On peut évidemment rêver mieux comme accueil ! Il n’est pas inutile de rappeler à ce propos que l’invention des barbelés est due à des éleveurs de l’Illinois pour parquer leur bétail ; et que dans les années 1940 le ministre de l’intérieur en exercice s’était, lui aussi, en attendant mieux, appliqué à loger dans des camps d’internement derrière des fils de fer barbelés des milliers de personnes, jugées infréquentables en raison de leurs origines douteuses, juifs, polonais, républicains espagnols, communistes, arméniens, anarchistes, tous plus « indésirables » les uns que les autres, une « racaille » dont il était bon de se débarrasser pour purifier l’atmosphère.

Il serait évidemment tout à fait scandaleux, en tous cas très exagéré, pour une simple histoire de fil de fer barbelé, d’établir un quelconque rapprochement entre vos pratiques d’hygiène « républicaine » et les mesures de salubrité publique prises au temps de l’occupation par le gouvernement de Vichy ; voire même d’oser comparer le « dispositif d’encadrement » des résidences réservées aux sans-papiers aux clôtures d’un parc à bestiaux.
Passons sur ce détail. Prenons un peu de distance. Tout bien considéré, nous sommes tous des étrangers. La terre entière est peuplée d’étrangers, tous assignés à résidence dans un espace limité, tous condamnés à vivre ensemble ou à mourir ensemble à plus ou moins long terme. En 1945 Paul VALERY notait « le temps du monde fini commence. ». Et le fait est que les années 1940 ont définitivement marqué nos frontières. Après les expériences d’Auschwitz et d’Hiroshima les hommes ont eu pour la première fois l’occasion de mesurer jusqu’où ils étaient capables d’aller trop loin. Et qu’ils pouvaient avoir aussi des barbelés plein la tête, plein de barbelés de mauvaises consciences et d’idées préconçues qui leur interdisaient de reconnaître « l’autre » comme « semblable ».
Il m’arrive souvent d’être embarqué pour « contrôle d’identité », d’entendre dire : « ces gens là ne sont pas tout à fait comme nous. ». A défaut de papiers attestant noir sur blanc que je ne suis pas une imitation, ni un faux semblant mais un être humain ordinaire, je m’attends toujours à ce qu’on m’oblige à monter sur le plateau d’une balance pour mesurer si j’ai vraiment le poids d’humanité qu’il faut pour avoir le droit d’exister.
Nous sommes différents ! La belle affaire !
Avec un peu d’imagination il serait peut être possible de voir s’additionner nos différences au lieu de les laisser nous diviser.
« Morale de boy scout ! », me direz-vous… Soit ! Si vous le voulez bien, nous prendrons le problème autrement tout à l’heure.

Mais auparavant, revenons un instant sur ma candidature à la Présidence de la République. Evidemment, je n’ai aucune chance d’être élu. Encore faudrait-il que je puisse me présenter. Je vous propose donc de faire « comme si… », comme si, en raison de vos bons et loyaux services, le prochain Président vous maintenait au même poste et que vous ayez alors à répondre aux mêmes questions qu’aujourd’hui, toujours sous les directives du Chef de l’Etat, seul maître à bord et seul responsable de l’ordre social.
A travers vous c’est donc à tous les futurs candidats à la Présidence que je m’adresse. Compte tenu de ce qui vient d’être dit, je leur demande de bien vouloir inscrire à leur programme les mesures qu’ils sont disposés à prendre pour traiter autrement le problème des sans papiers. Sachant que pour ce faire il leur faudra remettre un certain nombre de choses à plat dans une perspective plus large que les strictes limites de cette identité nationale étriquée qui nous est proposée, dont nous avons pu mesurer que les principes qui l’inspirent sont loin de prendre les problèmes à leur vraie dimension.
Lors de la campagne présidentielle, en1995, le GEPEF (Groupe d’examen des programmes électoraux sur les étrangers en France) avait invité les 9 candidats à se prononcer sur les mesures à prendre à propos du statut des étrangers en France. Sans succès. La réponse est venue sept ans plus tard, en 2002, en plaçant le représentant du Front National au second tour. En 2007, la balance penchait toujours du même côté. Qu’en sera t’il en 2012, alors que nous voyons déjà le Front National reprendre du poil de la bête ? Une bête qui a comme un air de famille avec la bête immonde dont il est question dans l’épilogue d’Arturo Ui de Bertolt Brecht.

Ma candidature est absurde me direz vous. Mais pas plus que les autres. Et d’ailleurs l’épreuve en question, à force d’être bricolée, est elle-même devenue absurde à la longue, administrée en dépit du bon sens. Quand le dispositif de l’élection présidentielle au suffrage universel direct a été mis en place en 1962, c’était sans compter sur l’exaspération des ambitions personnelles que cette compétition allait susciter par la suite. De sorte qu’aujourd’hui, grâce au talent des spécialistes en communication, avec le concours des médias et des agences de publicité, les candidats se trouvent exposés à l’étalage ni plus ni moins que des produits d’appel en tête de gondole dans les super marchés. Et c’est ainsi que la démocratie en est venue, ces derniers temps, à être confisquée par des vendeurs de n’importe quoi qui en sont tous à vous proposer du Président ni plus ni moins que des produits de lessive, des vacances au soleil à crédit sur 20 ans ou des fromages de régime à 0%.

Au mépris du principe de la Vème République suivant lequel le gouvernement du peuple doit être assuré par le peuple et pour le peuple, quelqu’un s’est cru un jour en droit d’affirmer : « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Je crois bien que c’était un Premier Ministre ou quelque chose de ce genre. A l’entendre on dirait qu’après avoir voté le peuple n’a plus droit à la parole. Un autre responsable politique (comment s’appelle-t’il donc, au juste ? son nom m’échappe) …Bref, un autre disait « en France, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit. ». En d’autres termes, ce régime, pour justifier son nom, ne trouve rien de plus intelligent que de se présenter comme une démocratie à zéro pour cent d’opinion, régime minceur ; une forme de « démocratie sans le peuple », suivant le titre que lui donnait Maurice Duverger.

Pour que ma candidature ait un sens il me faut donc chercher ailleurs que dans ces dérisoires cuisines électorales en essayant, pour voir, simplement pour voir, de corriger les trompe l’œil qui me sont proposés afin de remettre les choses en perspective.

J’ai parfois l’impression de vivre une seconde préhistoire où l’Histoire n’a plus de commune mesure avec ce qu’elle était dans les siècles passés.
Toutes proportions gardées nous nous trouvons à peu près dans la même situation que ces primates, une centaine tout au plus, il y a trois millions d’années, qui après avoir des siècles durant accepté de se laisser faire, ont entrepris de vivre autrement que d’habitude.

Après mille transformations, où ils n’étaient pour rien, au terme d’une ultime
métamorphose ils sont alors entrés de plain-pied dans une catégorie, paraît-il supérieure, qu’ils ont nommée: l’espèce humaine.
Nous sommes aujourd’hui placés comme eux devant le fait accompli, face à un monde que nous n’avons pas voulu et que nous devons prendre comme il est. A ce détail près, qu’au lieu d’une centaine nous sommes maintenant sept milliards,
de moins en moins disposés à nous laisser faire indéfiniment.
Tout comme au début les primates inventeurs de l’espèce humaine, les hommes d’aujourd’hui doivent se fabriquer une identité internationale.

Fort de ces différentes observations,
Monsieur le Ministre,
j’ai le regret de vous informer, en tant que citoyen du monde sans papiers,
que votre « identité nationale » à deux sous, ne m’intéresse pas.
Vous pouvez garder vos papiers pour un autre usage.
La formule est un peu cavalière, j’en conviens et je vous prie de m’en excuser, mais votre Président prend bien d’autres libertés avec la langue française.

1 commentaire:

cg a dit…

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